Ce matin là il faisait vraiment froid. Un vent glacial soufflait en rafales. Nous étions au milieu du mois de Mars et malgré le fait que les premiers jours du mois ont été relativement cléments avec un soleil réchauffant, ce jour -là a été furieusement torturant.
Mon père et moi grelottions au péage de Mornag. Nos valises étaient juste à côté. Nous avons vu défiler des centaines de voitures avant d’apercevoir le mini-bus qui allait nous transporter au sud tunisien pour remettre des livres à certaines prisons tunisiennes. Des livres que nous avons collectés tout au long d’une année. Des livres généreusement offerts par des citoyennes et des citoyens tunisiens imbus des principes de solidarité mais aussi par des étrangers qui portent en eux une grande affection pour la Tunisie.
Dans le bus, l’ambiance était bon enfant. Pourtant, dans un autre temps, dans des circonstances normales; et par circonstances normales, je fais allusion à des temps pas très lointains où la dictature nous étouffait et nous bafouait nos droits les plus fondamentaux, les personnes qui étaient à bord ne pouvaient peut être pas s’adresser la parole dans un lieu public. A bord il y’avait des responsables de la Direction Générale des Prisons et de la Rééducation( DGPR) , ainsi que certains de ses agents, mais aussi des représentants de l’Organisation Mondiale Contre la Torture ( OMCT), des journalistes, et puis il y’avait mon père et moi. Nous ne sommes pas aperçu de la longueur du trajet. Tout le monde rigolait et on se partageait des histoires et des anecdotes. Un autre véhicule nous suivait.Il était entassé de cartons de livres. Des livres de tous genres et dans différentes langues. Je me suis installée au fond du bus et je me suis mise à observer ce petit monde devant moi. Je me suis égarée dans mes pensées. Je n’ai jamais pensé que j’aurais un jour l’occasion d’avoir des partenariats avec des gens de la DGPR. Je n’avais jamais pensé que j’aurais un jour l’occasion de visiter une prison sans des menottes et sans une peine annoncée par un juge corrompu, loyal à un dictateur fou furieux qui a terrorisé toute une population. J’avais déjà fait une dizaine de visites dans différentes prisons de la Tunisie.
A un certain moment, je m’étais égarée dans mes pensées et j’essayais de me convaincre qu’un certain changement était entrain de s’installer dans ce pays. Par ces temps difficiles et arides, dans ce tunnel furieusement sombre j’essayais de distinguer une lueur d’espoir. Je cherchais à me consoler face au désespoir qui s’était installé sur tout un pays juste après une période d’euphorie révolutionnaire qui s’était rapidement évaporée.
A la Prison de Sfax:
Un freinage brusque m’a tirée de mes cogitations. J’ai levé ma tête et j’ai aperçu l’écriteau signalant la prison de Sfax. Nous sommes arrivés à destination. Des gardiens de prison et des responsables dont le directeur de l’établissement nous attendaient déjà. Certains souriaient, d’autres étaient plus sérieux. Après l’application des mesures de sécurité nécessaires, le grand portail nous a été ouvert. Nous avons eu droit au passage obligatoire par le bureau du directeur de la prison, mesure protocolaire inévitable. Pendant tout ce temps, j’essayais de surmonter mon angoisse. Je pensais à mon père et à ce qu’il pouvait ressentir en visitant différentes prisons, lui qui a passé ses années de jeunesse dans différentes cellules de différentes prisons de la Tunisie. J’angoissais à la vue des tours de contrôle, des différents portails qui se refermaient derrière nous l’un après l’autre engendrant ainsi un sentiment d’insécurité, des fils barbelés, et des gardiens. Des images défilaient devant mes yeux. Toutes les histoires de torture racontées par des anciens prisonniers que j’ai pu rencontrer repassaient dans ma tête. Mais le sourire de Papa, les anecdotes et les plaisanteries qu’il racontaient me redonnaient du courage.
Après les discours officiels, nous nous sommes dirigés vers une annexe de la prison qui s’est avérée être un nouveau complexe culturel et de formation . Nos livres allaient être installés la-bas, dans la nouvelle bibliothèque.
Tout le monde s’est enthousiasmé pour le déchargement des cartons de livres de la petite camionnette de la DGPR vers la nouvelle bibliothèque. En quelques minutes, les livres ont été placés sur de grandes tables, en attendant l’installation de nouvelles étagères. Des caméras filmaient la scène et nous avons eu droit à d’autres discours officiels.
Avec une grande insistance, le directeur de la prison nous a invités à déjeuner. Nous n’avons pas pu décliner cette invitation. J’en ai profité pour visiter l’ancien complexe culturel et de formation. Dans une petite chambre qui servait de salle de classe, une enseignante donnait un cours à quelques prisonniers très attentifs. La chambre avoisinante était très étroite et des étagères cachaient tous ses murs. Je me suis aperçu que j’étais dans l’ancienne bibliothèque. J’ y ai retrouvé l’un des gardiens qui a pu bénéficier d’une formation pour les agents bibliothécaires pénitenciers assurée par l’OMCT et la DGPR quelques jours avant. Il m’a expliqué la manière de fonctionnement de sa bibliothèque et de la distribution des livres aux prisonniers.
Après le déjeuner, nous avons repris la route vers une autre prison qui se localise plus au sud et je parle bien de la prison de Harboub à Medenine . La prison où je serai probablement emprisonnée si le juge déciderait ainsi en ce qui concerne l’affaire de mon agression par une vingtaine de policiers à Djerba en 2014 mais cela c’est tout une autre histoire que j’ai déjà raconté ailleurs et que je raconterai encore jusqu’ à ce que justice soit faite.